Partout sur le territoire, « les Français ont de plus en plus de mal à accéder aux soins de premier recours », à savoir ceux prodigués par les médecins généralistes, les spécialistes en accès direct, les pharmaciens, infirmiers, dentistes, kinésithérapeutes, orthophonistes ou psychologues, souligne un rapport de la Cour des Comptes.
Les difficultés actuelles d’accès aux soins sont liées pour partie au numerus clausus, une politique de quota dans la formation de médecins lancée dans les années 1970 qui a connu son pic en 1993, quand la France n’avait plus que 3500 étudiants en 2e année de médecine dans ses facultés.
Le quota a été desserré progressivement à la fin des années 1990, puis supprimé à l’initiative d’Emmanuel Macron, afin de pouvoir former plus de médecins sur le territoire. Mais cette suppression n’a pas eu les effets escomptés, les jeunes médecins restant dans les grandes villes et délaissant le reste du territoire.
Une préoccupation croissante pour les Français
« Les inégalités dans la répartition géographique des professionnels sont importantes et s’aggravent globalement : le taux de patients sans médecin traitant peut représenter jusqu’au quart des patients (soit deux fois plus que la moyenne) et le taux de passages aux urgences sans gravité particulière atteindre 40 % dans certains territoires, comme dans les Ardennes, par exemple », note la Cour des comptes.
Selon le baromètre IPSOS 2024 de la Fédération hospitalière de France (FHF), « le temps d’accès aux services de soins a augmenté de manière significative en cinq ans ». Pour aller chez un pharmacien, les Français estiment à 13 minutes en moyenne leur temps d’itinéraire, contre 9 minutes en 2019. Pour aller aux urgences, le temps est actuellement évalué à 28 minutes, contre 23 minutes il y a cinq ans.
Une différence plus marquante lorsque l’étude compare les trajets réels en zone rurale et en milieu urbain. Un habitant des villes se rend chez l’ORL en 33 minutes, un rural roule 57 minutes pour consulter.
La durée entre la prise de rendez-vous et la consultation s’allonge elle aussi : il fallait quatre jours en 2019 pour consulter un généraliste, il en faut aujourd’hui dix, selon l’enquête de la FHF.
Résultat : six Français sur dix ont déjà renoncé à au moins un acte de soin au cours des cinq dernières années, dont 50 % en raison de délais d’attente trop longs pour obtenir un rendez-vous, et un tiers à cause de l’éloignement géographique, selon le baromètre IPSOS.
La « diagonale du vide »
Dans une enquête d’avril 2024, la Fondation Jean Jaurès a cartographié cette distance aux praticiens. Elle est plus marquée « dans la ‘diagonale du vide’, cet espace d’une largeur d’environ 200 kilomètres glissant de la Meuse à la Creuse, qui se poursuit de façon plus diffuse jusqu’aux Pyrénées », constate l’étude.
Les inégalités géographiques se doublent d’inégalités tarifaires : une consultation de spécialiste peut être « jusqu’à 2,5 fois plus onéreuse d’un département à l’autre », relevait récemment l’UFC-Que Choisir.
À Paris par exemple, à peine 20 % des spécialistes sont en secteur 1 (sans dépassements d’honoraires), faisant de la capitale un désert médical pour les plus pauvres. Les inégalités d’accès aux soins concernent aussi les autres professions de santé, même si leur démographie est en général plus favorable que les médecins.
Selon la Cour des comptes, le nombre de masseurs-kinésithérapeutes et d’infirmiers libéraux a progressé d’environ 40 % sur les dix dernières années, avec un effectif cumulé de 200.000 soignants libéraux. Les effectifs de sages-femmes ont doublé.
Mais dans les territoires les moins bien dotés, il reste « six fois plus difficile d’accéder à un masseur-kinésithérapeute ou à un infirmier que dans les territoires les mieux dotés », indique la Cour des comptes.
Les Urgences jouent un rôle accru pour la population : elles comptabilisaient 20 millions de passages en 2022, contre 14 millions en 2002. Pourtant, partout en France, des services d’Urgences deviennent moins accessibles, dans les petits hôpitaux en particulier : nécessité d’appeler le 15 avant de pouvoir y accéder, voire fermeture totale la nuit ou le week-end.
« Il y a des endroits où les gens sont obligés de faire 150 ou 200 km pour avoir accès » à un électro-encéphalogramme, confirme le docteur Norbert Khayat, médecin pédiatre et spécialiste de l’épilepsie à Lyon. « Cela entraîne des retards de prise en charge, ou des erreurs de diagnostic », regrette-t-il. « Des patients trouvent que c’est trop compliqué et ne se soignent plus. »
Quand former plus de médecins ne suffit pas
« Compte tenu du nombre de jeunes qu’on forme en médecine », à hauteur de 10.500 par an aujourd’hui, « je pense qu’on n’est pas à l’abri de se retrouver un jour dans une situation de pléthore médicale », a expliqué Patrice Diot, doyen honoraire de la faculté de médecine de Tours.
En avril, Gabriel Attal, alors Premier ministre, demandait que les facultés donnent un nouveau gros coup d’accélérateur à la formation d’étudiants, fixant un objectif de 16.000 carabins formés par an. « Le chiffre de 16.000 n’est pas documenté de façon scientifique », a souligné Benoit Veber, le président de la conférence des doyens des facultés de médecine.
Ces nouveaux étudiants commenceraient à travailler vers 2035 au plus tôt, au moment même où les départs en retraite diminueraient drastiquement, et où la densité médicale commencerait à s’améliorer de manière sensible.
Pour autant, les doyens sont conscients des grandes difficultés actuelles d’accès aux soins. Ils proposent d’autres pistes pour faire évoluer le système de santé, quitte à agiter des sujets sensibles dans le secteur, comme la régulation de l’installation des médecins.
« Il y a bien un moment où il va falloir un peu contraindre, comme les pharmaciens l’ont fait » et « favoriser les installations dans les zones sous-denses », n’a pas hésité à lancer le professeur Thierry Moulin, le doyen de l’université de Besançon.
Thierry Moulin propose de remettre en cause le classement national du concours de l’internat, qui conduit chaque année de nombreux jeunes internes à quitter leur région d’origine. Dans les zones sous-denses, dit-il, « il y a des étudiants formés dans des bassins de vie, issus de ces bassins de vie » qui devraient pouvoir y rester plus facilement s’ils le souhaitent.
Michel Barnier promet un programme d’engagement « volontaire »
Pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins, le Premier ministre a promis d’instaurer un « nouveau » programme d’engagement « volontaire » pour les internes en médecine afin qu’ils partent temporairement exercer dans des déserts médicaux, avec le soutien des pouvoirs publics.
Michel Barnier, dans son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, a dit vouloir travailler à « un programme nouveau, un ‘programme Hippocrate’ par lequel les internes, français et étrangers, s’engageraient volontairement, pour une période donnée et grâce à l’accompagnement de l’État et des collectivités, à exercer dans les territoires qui manquent le plus de médecins ».
« Mon gouvernement vous proposera aussi d’accélérer l’accès aux soins grâce à une loi infirmières-infirmiers, qui ira plus loin dans la reconnaissance de leur expertise et de leurs compétences et leur donnera un rôle élargi », a également déclaré M. Barnier pour apporter plus de catégories de soins dans les déserts médicaux.
Michel Barnier a dit également vouloir aller « plus loin » vers l’extension des compétences des « pharmaciens et des kinésithérapeutes ». Matignon projette encore de faire appel aux « médecins retraités », avec des conditions de cumul emploi-retraite plus favorables, et de « s’attaquer à la simplification et à la suppression » de la « paperasse », qui étouffe le travail des soignants.
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